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6ème Assises Nationales des Infirmiers en Psychiatrie.
5 décembre 1998 - Centre Hospitalier du Vinatier
INTERVENTION DU COLLECTIF DE LYON

DE L'INTENTIONNALITE SOIGNANTE AU DESTIN DES INFIRMIERS PSYCHIATRIQUES

Bruno : L'intentionnalité soignante, qu'est ce que c'est ?

Jean-Paul : C'est ce qui vient fonder la rencontre. Il s'agit d'un parti pris, au sens de prendre parti. Prendre le parti de sortir d'une apparente neutralité bienveillante, ou malveillante, qui par ailleurs n'existe pas dans une relation à l'autre.

La neutralité sur le terrain n'existe pas ou alors n'existe que sur les contenus. Ici toute référence à la neutralité n'est qu'apparente, la volonté d'être neutre dans une relation de soin passe par une évaluation de cette situation et une décision , celle d'être neutre comme mode de réponse.

Bruno : Tu veux dire qu'à partir du moment où il y a schize ( décision de couper-trancher) la neutralité disparaît (processus psychiques Kleiniens) ?

Jean-Paul : Oui, et l'instant même de la schize est un processus neuro-physiologique, instant repérable à l'E.E.G. par la production d'ondes TETA, la décision est soumise à un système de critèrisation : qu'est ce qui fait que je décide ceci plutôt que cela ?

Bruno : Mais revenons en au parti-pris dans le soin, cette décision te semble-t-elle induite par ce parti-pris, et de quoi est-on alors parti prenante ?

Jean-Paul : D'une option thérapeutique de fond, décider que dans cette situation de soin avec cette personne, il peut se passer quelque chose plutôt que rien. C'est un vecteur fondamental que d'accepter que quelque chose puisse venir, advenir, et en travailler alors les conditions d'avènement .Je suis partisan de cette visée là.

Bruno : D'accord, avec ta logique je veux être partant et prendre une carte à ce parti, mais avant d'en arriver là, (arrivée-parti), on a parlé de l'intentionnalité, mais qu'en est-il de l'intentionnalité soignante ?

Jean-Paul : C'est vrai que jusqu'à maintenant, cette qualité pourrait être déclinée dans d'autres registres, pédagogique, éducatif, etc...Ce qui va donc différencier la volonté soignante, c'est le rapport aux conceptions de soin, aux valeurs qui les sous-tendent, aux connaissances dans ce domaine, aux outils du dispositif, aux cadres mis en place dans ce tiers incontournable de la désignation sociale, de la place assignée, et en ce qui nous concerne, nous les infirmiers en psychiatrie, place non signée dans un titre, une qualification.

Bruno : Ouh la la, c'est pas simple, mais alors, concrètement, comment cela se passe ? Cela passerait-il par une connaissance de tous ces paramètres?

Jean-Paul : Nécessairement, non, mais dans une situation de soin donnée, se poser la question de son observation, sous quel angle on regarde, c'est le travail de décentrage du regard, qui se situe le plus souvent dans l'après-coup, dans l'élaboration, la confrontation aux collègues, à l'équipe.

Bernadette : Pour imagier ce propos, et de manière tout à fait caricaturale, dans l'écart considéré, on pourrait dire que du côté des soins généraux, plus centrés autour d'une technique (perfusion, injection), la question de cette maîtrise technique aide de fait, à situer les acteurs jusqu'à parfois en gommer le signifiant. (dans des situations écran, imagerie par exemple.).

A l'inverse, dans une situation de soin psychiatrique, c'est la nécessité d'asseoir des cadres internes, qui aidera au travail de « se situer » ici, là dans la relation. Ce qui suppose au préalable, un travail d'internalisation et de maturation et son corollaire : le rapport au temps.

Bruno : Je repose la question, concrètement, comment cela se passe-t-il ?

Jean-Paul : Prenons un exemple de premier contact, ou de mise en contact de base : « Bonjour, comment ça va ? » Il y a mille manières de le dire.

Bernadette : « Bonjour, comment ça va ? Bonjour, comment ça va ? »

Oui, nous sommes là dans le B A BA de la communication à l'autre. Seul, le psychanalyste dans son cadre, ne pose pas cette question.

Bruno : On ne va quand même pas faire trois ans d'études pour poser cette question ?

Jean-Paul : Si, et c'est même à partir de ce simple énoncé de la rencontre à l'autre que peut se jouer beaucoup de choses : l'ouverture, la fermeture, formule polysémique par excellence, à l'image du babil du bébé, elle ouvre un rapport signifiant-signifié quasi infini. Ce sont les mots d'après qui viendront qualifier le registre de l'avant, mais déjà dans la formulation, la déclinaison sémantique, la prosodie, l'euphonie, l'enchaînement musical se nuance le registre de l'ouverture-fermeture.

Et puis, on le sait bien, la profondeur de champ de cette question, n'est jamais que de demander à l'autre : et toi, comment tu fais dans la vie, avec cette question de la mort et du sort commun.

Bruno : Revenons à notre propos, cette notion de parti a une résonance militante, en tout cas colorée, et m'évoque l'engagement.

Bernadette : On parle d'engagement pour les militaires, les religieux, les militants, le mariage, et déjà les enfants à naître s'engagent.

Pour nous infirmiers, c'est de l'engagement thérapeutique dont il est question.

Jean-Paul : L'engagement dans le soin, c'est accepter de travailler dans la rencontre avec le patient ce que cette altérité mobilise en nous, en notre personne, accepter l'inconnu, accepter de laisser « dilater son imaginaire » (J. Furtos). La rencontre vient d'abord, l'expertise vient ensuite .

Mais cette expertise va s'inscrire dans un mouvement plus vaste, où seront prises en compte les conditions d'avènement de cette rencontre, c'est-à-dire le lieu, l' institution ou la culture.

Bruno : Est ce tu peux être plus précis dans ton onanisme cortical .

Jean-Paul : Oui, je peux,

Les conditions d'avènement de cette rencontre passent par :

A - un travail sur le cadre, le climat relationnel propice, favorisant le repérage des éléments de sens,

B - un travail sur le désir de soigner de réparer et de durer, place en deçà du statut qui en est l'assignation extérieure,

C - un travail sur les idéologies soignantes collectives .

D - un travail sur les théories qui vient référencer, appuyer, structurer ces réflexions et ces positionnements .

E - un travail enfin sur les valeurs qui animent la démarche : valeur professionnelle et valeur vis à vis de l'homme .

Bruno : Tout le monde a ses valeurs à ce niveau .Qu'en est-il des valeurs des professionnels infirmier, et particulièrement en psychiatrie ?

Bernadette : Celles sur lesquelles peuvent s'appuyer et se ressourcer le désir soignant . Il me revient cette phrase : « Etre affecté par le malheur des autres , est une attitude profondément politique » dans le sens où la politique nous oblige à penser la relation entre ces éléments, et donc, notre relation .

Ou encore, cette autre phrase : « Etre vulnérable, cette possibilité d'être toucher par l'autre . »

On le voit, entre la souffrance du sujet et les exigences sociales, le champ d'action de l'infirmier en psychiatrie, qui s'attache à réfléchir à son exercice, est ponctué d'obstacles .

Bruno : Et pourtant, cette réflexion n'est-elle pas nécessaire ?

Bernadette : Elle est non seulement nécessaire, mais également constituante .

Bruno : Mais constituante de quoi ?

Bernadette : D'une unité, d'une identité, condition indispensable à une professionnalisation qui puisse faire avancer collectivement la reconnaissance du soin infirmier en psychiatrie .

Bruno : Mais pourquoi cette construction professionnelle est-elle si laborieuse ?

Jean-Paul : Elle est étroitement liée à la nature de l'activité, la psychiatrie, et aux interrogations qu'elles suscitent, lesquelles dépassent leur cadre. Le lien entre les deux, obligeant à une grande ductilité psychique, qui, si elle est une des fonctions de l'infirmier en psychiatrie, dans son travail de lien entre les différents paramètres, se trouve particulièrement mis en tension dans l'écart des polarités où elle évolue. Si elle n'est pas suffisamment balisée, les facteurs de fragilisation apparaissent.

Bruno : Quels seraient donc ces facteurs de fragilité ?

Bernadette : Je vous propose de vous en faire une liste non exhaustive :

Tout d'abord, ceux qui sont liés à la nature même de son objet, la psychiatrie et ses missions, et, qui s'inscrivent de manière structurelle .

En premier, la nécessaire distinction entre soin et handicap, qui oblige à penser un soin dans la durée, une clinique de la durée .

Jean-Paul : Et ceci, en dehors des protections avancées à un moment de la trajectoire du sujet souffrant (curatelle, AAH). La difficulté étant d'isoler les points de fragilité ou de défaillance ayant nécessité ces protections, des processus psychopathologiques en cours. Difficultés a dépasser pour le soignant en psychiatrie, d'appréhender une entité nosographique de manière descriptive et non norminative, obligeant à la nécessaire individualisation du soin, un même fait psychopathologique n'ayant pas du tout les mêmes répercutions au niveau de l'autonomie de la personne (Cf. grille de Wood).

Bruno : Oui, on imagine mieux la pression sur les soignants, pris entre le discours économique qui s'oriente vers le colmatage, le gommage du symptôme, le blanchiment de la maladie à court terme, si possible à travers un support biologique et les exigences du soin, qui est de poser la question du sujet et son sens.

Jean-Paul : A propos du support biologique, cette demande faite au cerveau d'éclairer cet incontrôlable et agaçant psychisme. Il est toujours amusant de rappeler que la grande majorité des découvertes dans la pharmacopée psychotrope se sont faites en dehors de logiques hypothètico-déductives, en dehors de concepts préalables. C'était souvent le fait du hasard, des erreurs, de l'empirisme trouvant secondairement, dans l'après-coup des corpus de rationalisations scientifiques pour alimenter les fondamentalistes biologiques, et non l'inverse.*(1)

Bernadette : Il en est de même de la place de la psychiatrie au carrefour du sanitaire et du social. Si la psychiatrie publique a toujours eu en souci de prendre en compte les conséquences sociales des troubles psychiques de ces patients, il ne s'agit pas, ni de psychiatriser des populations précarisées en perte d'étayage social, ni d'apporter un traitement social de la détresse psychique.

Bruno : Oui, l'infirmier dans son rôle, prend en compte la dimension sociale du sujet du point de vue clinique, et le retentissement de sa maladie sur la vie sociale.

Bernadette : Il nous faut aussi noter que la psychiatrie et ses soignants sont sans cesse traversés par le culturel et le médical.

Jean-Paul : Ce qui oblige d'une part, à resituer la place de la psychiatrie dans une donnée évolutive, et à intégrer un certain nombre de ces matériaux culturels.

Bruno : Vous voyez d'autres particularités avec lesquelles doivent composer les infirmiers psychiatriques.

Bernadette : La place de la loi dans la soin. Cette permanence de la composante médico-légale obligeant à superposer soin et contrainte.

Jean-Paul : L'infirmier d'un côté comme garant de la clôture spatiale, dans la métaphore carcérale et les représentations qui s'y rattachent, et de l'autre, agent de liaison, développant des stratégies thérapeutiques pour générer des alliances.

Bruno : Bref, vous voulez dire que l'infirmier, « ce fantassin du soin »*(2), doit gérer au quotidien, en première ligne ce double discours, enfermez-les / laissez-les circuler et donc répondre de contradictions qui le dépassent.

Jean-Paul : Oui, l'infirmier psychiatrique comme lieu où se dialectisent ces contradictions les exigences institutionnelles, légales et sociales, et les exigences du soin. Ce qui permet d'emblée de situer le paradoxe, quelquefois confusogène dans le soin.

Bruno : L'infirmier psychiatrique tirerait son image publique dévalorisée de la prégnance de l'image du gardien.

Jean-Paul : Les modalités défensives du corps social privilégient toujours l'image liée aux missions de protection de la société plutôt que celle du soignant. Ceci est à comprendre comme une dénégation, et les tergiversions laborieuses des législateurs et du politique à notre encontre sur la reconnaissance du diplôme, ne sont pas là pour dissiper cette confusion.

Bernadette : « La Loi est l'expression d'un compromis, jamais définitif, mais qui constitue une garantie, ainsi qu'un point d'appui pour de nouvelles avancées *(3) » lit-on dans un récent numéro du Monde. Ce rapport à la loi que nous partageons, nous aide à mieux comprendre l'enjeu du diplôme infirmier (DEI) pour les psy. à la veille du troisième millénaire.

Bruno : On comprend, on comprend...

Bernadette : Mais il faut compter avec une des richesses de la psychiatrie, au moins dans la pluralité des modèles conceptuels.

Jean-Paul : Mais qui devient un point fragilisant quand la confrontation se fait difficile, l'allégeance trop marquée - quand cette construction se fait au détriment d'un modèle infirmier, qui lie pratique et pensée, ou que la nécessité de ce modèle se fait par mimétisme des soins généraux. On retrouve cela avec la difficulté de trouver un vocabulaire consensuel, pour expliciter des pratiques, par ailleurs fort semblables.

Bruno : Vous parliez de facteurs propres à l'objet psychiatrie. Vous en verriez d'autres?

Bernadette : Ceux qui sont propres à notre profession, à notre fonction : la diversification des modes de réponse, l'élargissement du dispositif de secteur a enrichi les pratiques, l'augmentation des champs d'activités de la fonction infirmière a augmenté les exigences pour les agents. Enfin, la multiplication des missions du soin, des projets, des tâches afférentes au soin ont pu donner un effet d'accumulation devant des charges croissantes, à moyen constant ou en baisse.

Jean-Paul : Il me paraît que ces développements nécessaires ont pu avoir un effet centrifuge, obligeant à un travail croissant pour repositionner une unité souvent introuvable. Les résurgences ici et là des clivages que l'on croyait dépassé avec l'esprit conquérant de l'investissement du secteur, resurgissent. Clivage entre intra et extra, entre séquence et permanence, entre les uns et les autres, entre DEI et DISP quelquefois, et qui sont bien sûr à comprendre comme étant des symptômes institutionnels de contraintes plus vastes.

Bruno : Il s'agirait donc de prioriser le travail des convergences sur le travail des divergences, ou des diviseurs. Mais cela est propre à la fonction infirmière dans son ensemble !

Bernadette : Certes, certes, nous n'allons pas reprendre ici l'histoire de la profession. D'autres l'ont fait mieux que nous. Mais il faut constater que la nécessaire différenciation de la fonction a du mal à s'émanciper à nos yeux, de la fascination du mimétisme médical.

Jean-Paul : Il s'agirait donc d'appréhender la persistance des représentations culturelles qui sous-tendent ces mécanismes pour arriver à en jouer. Sans contester les différences de formation, de statut, des différents acteurs du soin, la parole et l'écriture infirmières restent les mieux à même pour parler de leur pratique. Cette légitimation est encore difficile à nos propres yeux, malgré un nivellement progressif des hiérarchies intellectuelles. Il est vrai que les organisations qui préconisent la responsabilité et l'autonomie d'une main, et de l'autre alimentent l'anonymat, l'indifférencié et pratique l'interchangeabilité, ne contribuent pas à un engagement de ses acteurs.

Bruno : Si j'ai bien compris, il s'agirait de travailler les représentations culturelles liées aux fonctions dans le soin, et d'en jouer pour que le patient en tire un maximum de bénéfices. Travailler les représentations culturelles, pour que prendre soin de sa santé mentale ne soit plus stigmatisant.

Bernadette : C'est donc l'adéquation de cette parole, de cette écriture, qui s'exprime aujourd'hui, modestement, à cette tribune.

Bruno : Il y a autre chose ?

Bernadette : Il nous faut prendre en considération les données plus générales liées au contexte. Je pense bien sûr aux apparentes rationalités économiques, de leurs stratégies à court terme, qui nous obligeraient à long terme à payer une addition bien plus élevée...

Bruno : A condition que l'on mette l'homme au centre de ses préoccupations...

Jean-Paul : Oui, bien sûr, il y a un coût à produire des producteurs * (4) qui n'est pas pris en compte dans cette logique néo libérale. Il en de même avec nos patients. « La reconnaissance de la place faite aux traitements des malades mentaux, et de leurs soignants, est un des indicateurs de la maturité d'une société » nous dit Lucien Bonafé. J'associerais volontiers que le sort funeste qui nous est réserve en est un indicateur aussi, quelque soit le juridisme bavard et les arguties avancées. D'où la nécessité de maintenir des collectifs de pensée, des solidarités collectives, non seulement pour entretenir un seuil minimum de conflictualité, au sens de positions mettant en tension des interrogations, mais également pour affirmer la nécessité de travailler à une réflexion collectivement élaborée et approuvée qui dépasserait la litanie fétide des intérêts égoïstes et des stratégies individuelles.

Bruno : Ouiii... plus précisément

Jean-Paul : Euh... La clinique est politique, et il y a une politique de la clinique.

Bernadette : Nous sommes donc dans la politique de soins qui se heurte aux attaques de structures, où on essaie de blanchir l'interrogation de la folie, plantée là au coeur de l'homme, à la fois dans le vocabulaire (disparition de la désignation Psychiatrie) que dans son traitement. Je pense aux ravallements du soin à la maintenance sociale, et au traitement de la souffrance psychiques réduites à la gestion d'un handicap.

Jean-Paul : Oui, c'est rabattre sur la linéarité du plan, ce qui serait de l'ordre des volumes.

Bernadette : Il nous faudrait aborder la répartition peu harmonieuse des moyens du soin, ou le poids des économies locales et des cultures, qui peuvent discréditer la fonction soignante quand les mesures d'activité portent sur un quantum d'actes qui ne dit rien de la qualité. Et surtout, quand ces disparités favorisent les logiques centripètes.

Bruno : Vous n'avez pas l'impression d'aller un peu trop vite en besogne...

Bernadette : Il nous faudrait encore évoquer l'éloignement croissant des lieux décisionnels qui rendent abstraite ces instances. La ou les récentes multiplications et excroissances ne gagnent ni en capacité décisionnelle, ni en clarté. Ajouté à la triple tutelle infligée du service infirmier, et dont les incantations en oublient parfois leur raison d'être, leur tâche primaire, leur raison sociale : le soin.

Jean-Paul : Et l'hypertrophie des hiérarchies, dont la hiérarchie infirmière qui culmine à H + 7, comme si la seule valorisation sociale, en terme de reconnaissance et de perspective d'évolution de carrière devait nécessairement passer par l'éloignement de ce qui la fonde, la clinique, et son corollaire, le contact avec le corps du patient, ou le corps accord, voir le corps à corps quand il faut prendre la psychose à bras le corps.

Bruno : Vous en êtes toujours sur les facteurs de fragilisation ?

Bernadette : Il faudrait encore aborder des facteurs conjoncturels comme le temps de contraction des compétences professionnelles devant l'évolution des sciences et techniques, heureusement moins actif dans le domaine de la relation d'aide, et des modifications générales du rapport au travail...

Bruno : Nous passerons sur ces développements...

Jean-Paul : On comprend mieux que la réunification de ces paramètres est un exercice difficile au quotidien ... Pourtant la nécessité de leur repérage et de leur identification constitue un paradigme à nos yeux difficilement contournable de notre fonction.

Bernadette : J'ai l'image ici, d'un élargissement du regard, partant de la clinique et se propageant sous forme de cercles concentriques .

Jean-Paul : Travailler le lien, c'est travailler les liaisons dans lequel il s'opère, le travail infirmier en psychiatrie est alors vraiment au carrefour du professionnel et de l'individuel.

Bernadette : Et pourtant, il apparaît nécessaire de connaître, faire connaitre et accepter le cadre de ces contraintes, pour s'autoriser une réelle créativité dans le soin. La question maintenant est celle de la transmission, en terme de filiation ou en terme pédagogique de ces connaissances, liée à l'exercice infirmier en psychiatrie.

Bruno : Et quelles capacités, aptitudes, valeurs seraient en creux dans les apprentissages actuels qu'il serait opportun de voir développer dans des contenus de formation.

Jean Paul : Il nous faut distinguer ce qui serait plus d'un registre personnel, l'aptitude, qui trouverait une expression positive dans le registre professionnel, et la capacité qui relèverait plus de l'apprentissage.

Bruno : Par exemple ?

Jean-Paul : Par exemple, l'empathie, le travail de l'émotion, l'indispensable travail de l'indignation seraient plus de l'ordre d'une aptitude. Les capacités travaillant alors plus leur avènement ou leur expression.

Bruno : Et quel destin pour ces émotions ?

Jean-Paul : Il y a deux possibilités : soit travailler à leur repérage, leur mobilisation, comme du matériel brut qui peut venir faire moteur dans la relation et dans le soin, et qui pourrait servir alors à alimenter une réflexion, une parole, un travail de mise en lien.

Soit l'infirmier reste avec ce matériel en dépôt, se contentant d'une fonction d'absorption sans transformation au risque, par effet de surcharge, d'intérioriser une perception de vanité de ces éléments de vitalité.

Bernadette : On imagine volontiers que ce mouvement suppose un cadre suffisamment fiable pour se structurer et se déployer, et que ce cadre, c'est alors l'équipe.

Bruno : Il est vrai que l'infirmier ne travaille jamais seul, même dans une pratique solitaire. Il compose avec ce témoin absent, cette référence qui le légitime, l'équipe.

Jean-Paul : Et pourtant, l'équipe a des propriétés qui lui sont propres, et elle est toujours la résultante de l'adéquation des imaginaires individuelles et des contingences du réel. Plus qu'ailleurs, une représentation partagée doit pouvoir se repérer, se travailler et faire unité de référence.

Bruno : C'est une des qualités du dispositif pour que l'infirmier mette en oeuvre plus efficacement son savoir-faire.

Bernadette : Travailler à la création d'un climat relationnel propice à amortir les projections, les attaques qui doivent pouvoir s'exprimer, et surtout, propice à expérimenter d'autres formes de réponse que celle d'une répétition commencée ailleurs.

Jean-Paul : Ce qui suppose de garder ouvert dans notre regard, la possibilité d'un changement pour l'autre, et cela même devant la lassitude du même, ou la sidération de l'incompréhensible.

Bruno : Et comment cela s'organise-t-il au quotidien ?

Jean-Paul : Dans ce que nous nommerons « le crédit de confiance ».

Bernadette : Cette attitude qui peut sembler parfois naïve, mais indispensable pour le patient ,se constitue dans le jeu des expérimentations relationnelles, la possibilité de se représenter autrement ce qu'il met en jeu.

Pour le soignant, le meilleur moyen de limiter les phénomènes de contagion, d'escalade symétrique, est le travail clinique, le travail d'observation, qui prend en compte dans cette observation, le travail de contextualisation, de mise en conjecture de la situation observée.

Bruno : Cette notion de « crédit de confiance » reprend ce que nous disions précédemment de l'intentionnalité soignante. Quelles capacités souhaitez-vous encore aborder ?

Bernadette : On le voit, le travail de l'infirmier en psychiatrie est ce travail de recherche d'alliance, de générer des passages dans la relation à l'autre, d'apprivoisement qui peut amener à un adoucissement , voir à une réinterrogation chez le patient, qu'il peut alors reporter dans d'autres espaces psychothérapiques. Il passe également par des décadrages, des ruptures dans le système représentatif, pour dédramatiser, changer la figuration de ce qui se joue.

Jean-Paul : Il s'agit d'une forme de maïeutique. Travailler les conditions d'avènement d'une relation plus authentique ou réinterrogeante, et pour cela, travailler la relation, son cadre, en bonifier les éléments en les métabolisant, tenter de mettre en forme l'informe, de figurer le défiguré, de mettre un visage à l'invisageable.

Ce cadre doit bien sûr, avoir des propriétés contenantes, basées sur la fiabilité, la durée, la confidentialité pour permettre le dépôt. Et tenir ces qualités du cadre, c'est tenir un engagement, c'est celui de nos missions de psychiatrie de secteur, l'accès au soin et la garantie dans un engagement et une continuité.

Bernadette : A la différence du modèle médicalisé, généralement reproductible sur les différents sites (bureau, ordonnance, entretien), le modèle infirmier de secteur psychiatrique est « adaptable tout terrain » et doit se recréer sans cesse.

Bruno : D'où la nécessité de travailler les liaisons.

Bernadette : Le métier d'infirmier psychiatrique est fondamentalement un métier de liaison, particulièrement en intra-hospitalier, et cela pas uniquement devant la déliaison des patients psychotiques.

Jean-Paul : Travail de liaison entre médecin/infirmiers, l'interne/l'externe, l'affect/la représentation, la théorie/la clinique, la psyché/le soma, le dedans/le dehors, le conscient/l'inconscient, les concepts/les pratiques, et tout ce qui vient faire du liant dans les zones d'ombre de nos institutions.

Voilà nous sommes des passeurs de frontières, de toutes ces frontières, où ce que nous passons d'abord, c'est notre identité.

Bruno : Identité- Contenance- Assignation- Toutes notions centrales dans les pratiques infirmières, tous domaines où dans notre destin, nous sommes malmenés et déconsidérés dans la réalité de notre exercice.

Bernadette : Et ce n'est pas le besogneux fatras d'alinéas ségrégatives et de virgules discriminatoires, dit projet de loi DEISP qui va assainir ces questions.

Jean-Paul : On épaissit encore en plus les contradictions, on élargit la confusion, on assoit le doute sur les compétences, on fait comme si ... et on répète ce que la politique politicienne a de plus lassant dans le chipotage, la mauvaise foi, l'évitement des questions de fond. Et c'est pourtant en ce lieu et place qu'on nous demande de transmettre, place non nommée, lieu non déterminé, quelle en sera la valeur du message ? Quel crédit pour ces transferts de savoir, où pourtant les besoins dans le champ général sont manifestes ?

Bernadette : Il nous faudra continuer d'interroger cette confusion, dans le silence assourdissant des médias, interroger des politiques, puisque loi ils édictent. Et répéter que nous sommes fiers de notre travail, que notre seule légitimité, c'est celle du patient.

Jean-Paul : Souvent complexé, malmené, éclaté, la profession infirmière en psychiatrie a toujours été assimilée plus ou moins à son objet, avec les intériorisations dépréciées que cela suppose pour ces acteurs.

Mais nous savons qu'il n'y a pas de hiérarchie dans la souffrance, dans la dignité à soigner, et que cette dignité nous la recouvrons dans nos paroles, nos écrits, nos témoignages et nos luttes. D'ailleurs, la persistance structurelle du collectif * (5) là où il y avait vocation conjoncturelle, illustre cette question.

Bruno : Je pense à cette phrase de Jean-Paul SARTRE : « cette nécessité pour la conscience d'exister pour autre chose que soi ».

Nécessité qui, lors de la rencontre entre le groupe et l'individu, entre l'individu et l'histoire, génère un dépassement .

Bernadette : Aujourd'hui, nous sommes trois pour intervenir. C'est pour nous une manière d'illustrer notre propos, l'infirmier ne travaille pas seul, et les élaborations se nourrissent collectivement. Nous retrouvons également trois discours, qui recouvrent le cheminement de pensée de chaque professionnel dans sa pratique.

- l'interrogation inévitable, permanente et sa formulation,

- l'élaboration secondaire,

- et le lien imagé.

Jean-Paul : Trois pôles que nous avons voulu réunifier dans une communication, à un moment où notre destin, le destin du stock, le destin kleenex, sera l'enjeu majeur de la psychiatrie de cette fin de siècle, là où le vecteur millénariste, où le vecteur du blanchiment illusoire de la folie, nous pousse sur l'hôtel sacrificiel de l'histoire, la petite, celle des petits intérêts. Mais nous savons la valeur universelle de cette intentionnalité et sa persistance.

Bruno De Roissy ISP - Hôpital Saint-Jean-de-Dieu Lyon-Rhône
Bernadette Dourmap ISP - Hôpital Saint-Jean-de-Dieu Lyon-Rhône
Jean-Paul Lanquetin ISP - C.H. Saint Cyr-au-Mont-d'Or-Rhône

Bibliographie

On pourra se reporter au livre de Markos Zafiropoulos : « Tristesse dans la modernité » Ed. Anthropos qui traite de l'idéal pharmacologique à la clinique freudienne de la mélancolie. 1996.

Pascal Zouatine. I.S.P. Revue Soins Psychiatriques No 197.

Le Monde-Mardi 20.10.98- Page 19. Rubrique Horizons-débats : « Républicains, refusons la nation à deux étages ! » par Régis Debray, Max Gallo, Jacques Julliard, Blandine Kriegel, Mona Ozouf, Anicet Le Pors, Paul Thibaud.

Pierre Bourdieu : « L'essence du néoréalisme » - le Monde Diplomatique . Mars 1998

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